Article de presse – LES ECHOS, 15 août 2023
Lien de l’article sur lesechos.fr
Olivier Ducuing Correspondant à Lille
Le groupe nordiste de quarante ans poursuit son modèle singulier, basé sur l’autonomie, la confiance envers les salariés, et qui a opté pour la transparence des rémunérations.
« Bienvenue chez les fous ! » Le titre du livre écrit il y a dix-huit mois par le fondateur de Clinitex, Thierry Pick, montre le caractère décalé de l’entreprise. Cette société familiale de nettoyage, créée il y a plus de quarante ans, compte aujourd’hui 4.000 salariés, dont 3.800 agents de propreté.
Située à Villeneuve d’Ascq, dans la métropole de Lille, elle intervient majoritairement dans le nord du pays mais se déploie de plus en plus sur le territoire national. L’an dernier, la société a dégagé un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros. Mais au-delà des performances économiques, c’est bien son modèle qui tranche dans l’univers du nettoyage.
« Entreprise libérée » ou management Montessori, Thierry Pick comme son fils Edouard, qui a pris sa suite à la tête de l’entreprise familiale il y a quatre ans, ne revendiquent aucune étiquette particulière. Ils mettent plutôt en avant un grand pragmatisme fondé sur des valeurs fortes, à commencer par la responsabilité, la confiance et l’autonomie des salariés.
« Il n’existe que deux types de management : celui qui fonctionne et celui qui ne fonctionne pas », lâche le fondateur du groupe, qui se présente comme un ex-cancre laveur de carreaux.
Concrètement, le mode opératoire de l’entreprise offre un climat général de grande liberté dans l’auto-contrôle des salariés. Liberté des horaires, travail à distance, entretiens annuels organisés lors de promenades bâtissent la singularité de l’entreprise, parmi des dizaines d’initiatives.
Jargon maison
Sans oublier le jargon maison : ici, pas de contrôleur de gestion, mais un éclaireur de gestion ; pas de fiches de fonction, mais des fiches de mission ; pas de business plan, mais des « human plans » …
« C’est perturbant et déroutant les premiers mois, notamment pour savoir où aller chercher les ficelles. J’ai cherché pendant des années le petit astérisque caché, mais non. C’est hyper-enrichissant et valorisant », raconte Océane Williard, entrée dans l’entreprise il y a cinq ans comme manager d’équipe.
Devenue responsable commerciale sur la Côte d’Opale, la jeune femme a suivi le cursus de l’académie interne, Clin’boost, avant de piloter un rachat d’agence à Montpellier. « Mon job, c’est de réaliser le rêve de mes collaborateurs. On va chercher leurs appétences pour faire émerger un projet », raconte Edouard Pick, lui-même adepte de la pédagogie Montessori, dont il est issu.
C’est cet état d’esprit qui l’a conduit un jour à décider d’aller jusqu’à la transparence totale des salaires, un saut dans l’inconnu que son père s’était toujours refusé à franchir. Le sujet concerne les 200 cadres des fonctions support ; les agents de propreté relèvent, quant à eux, de la convention collective et sont majoritairement multi-employeurs. Un vendredi soir, Edouard Pick décide donc de publier la liste des salaires sur l’Intranet de l’entreprise.
« Naturisme managérial »
« Ce jour-là, j’ai eu peur », concède-t-il, finalement heureux de son audace. Car après quelques remous et des corrections immédiates d’injustices flagrantes, ce que son père qualifie de « naturisme managérial » est devenu évident, grâce à des principes simples, gérés par un comité des rémunérations annuel : à travail égal, salaire égal ; rémunération du résultat, de la rareté du profil, de la légitimité et non de l’ancienneté. « Cette transparence évite le fayotage. Les jeux de séduction, ce n’est pas possible chez nous », se félicite Edouard Pick. Et le sujet est passé d’émotionnel à purement technique. « Edouard l’a fait dans son coin en ne le disant à personne. Je l’ai vécu, comme tout le monde, par surprise », raconte Thomas Drouet, qui fut longtemps commercial dans l’entreprise à Arras avant de lancer une agence à Fréjus puis à Nice : « Quelques-uns ont toussé, il y a eu des réajustements. A mon niveau, je ne me suis pas senti lésé et aujourd’hui, sincèrement, ce n’est plus un sujet. »
L’entreprise met bien sûr en avant cette dimension d’innovation managériale, pour laquelle elle a d’ailleurs décroché le label B Corp depuis deux ans. Elle serait la seule des 15.000 entreprises de nettoyage en France dans ce cas. Un argument qui commence à compter aussi sur le plan commercial, à prestations égales, se réjouit Edouard Pick. Même si ses concurrents ne sont pas tous convaincus et évoquent parfois à demi-mot une forme d’affichage chez Clinitex.
En attendant, le groupe nordiste poursuit sa trajectoire et envisage à moyen terme une couverture complète du territoire français pour y déployer son modèle détonnant.